Son rôle pendant l’occupation

Memorandum sur le rôle de Jean Jardin pendant l’occupation

Au début de la guerre, Jean Jardin, chef des services repliés de la SNCF, à laquelle il appartient depuis 1937, est dès janvier 1941 chargé de mission puis chef de cabinet adjoint du Ministre des finances, Yves Bouthillier. En avril 1942, il est nommé directeur de cabinet du Chef du gouvernement Pierre Laval. En octobre 1943, il est nommé premier conseiller de l’ambassade de France à Berne, où il devient Chargé d’affaires du printemps 1944 jusqu’au 1er septembre 1944.

Y = preuves existantes ; T = témoignage(s)

YJean Jardin (ci-après J.J.) n’a jamais fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire ou de nature politique, ni à la Libération ni depuis lors et cela jusqu’à sa mort en 1976.
YJ.J. n’a jamais été mis en cause sur la base de faits établis par aucun historien sérieux, même les plus sévères pour Vichy, tels que l’Américain Paxton par exemple. En revanche, J.J. a été cité dans de nombreux ouvrages* et témoignages*.
[* cf Pierre Assouline (ci-après P.A.) Une Eminence grise, Jean Jardin, Editions Balland 1986 & Folio : notes, sources et bibliographie in fine]
YLa fiche des « Renseignements généraux » concernant J.J. à la Libération (fiche dont le double se trouve dans les archives privées de J.J.) dit de lui : « Il n’y a rien contre Jardin, il peut rentrer en France quand il veut ».  Consécutivement, le ministre des Affaires étrangères Georges Bidault lui propose en septembre 1944 sa réintégration dans la haute administration, ce que J.J. refusera.
[P.A. chap. II/7 mission Léon Denivelle]
TL’un des collaborateurs de Serge Klarsfeld a dit à Gabriel Jardin, à l’issue d’un long entretien personnel (fin années 80) : « Sa fiche dans les dossiers de Serge Klarsfeld est vierge. Que faisait un homme comme lui dans cette galère ? »
YL’élément principal à la question ci-dessus que beaucoup se sont posée, la voici : l’ancien ministre Louis Marin (qui rejoindra De Gaulle) et le Cardinal Gerlier, archevêque de Lyon sous l’Occupation (désigné Juste parmi les nations par le Mémorial Yad Vashem en 1980) le supplient en 1943 de ne pas quitter son poste à Vichy où il protège tant de gens. J.J. répond qu’il se sent « désormais impuissant face à certains hommes » (J. Darnand, chef de la Milice ; Geissler, chef de la Gestapo de Vichy ?) [P.A. chap. I/5]
YJ.J. a reçu, au moment de sa révocation en septembre 1944, une lettre du Commandant Pourchot, attaché militaire adjoint de l’ambassade de France à Berne (en 1943-44), rendant hommage à J.J, au nom de ses supérieurs à Alger, pour l’action de ce dernier en faveur de la libération du territoire et son soutien sans faille à son activité cachée de chef du service de renseignements résistant jusqu’en août 1944. Cette lettre est contresignée par le lieutenant de vaisseau Ferrant.
[Document déposé à l’Institut Hoover, Université de Stanford, Etats-Unis. Cité in P.A.]
YJ.J. possédait également une lettre d’un certain Louis Suss, agent secret travaillant pour l’état major d’Alger et le service du Commandant Pourchot, attestant que c’était grâce à la protection de J.J. qu’il avait pu transmettre aux Alliés les photographies qu’il avait prises à Pennemünde des bases de V1 et V2 bombardant Londres. Il en est résulté l’écrasement de ces bases par des bombardements anglais, épargnant dès lors des centaines de vies et, selon Churchill, « raccourcissant la guerre de six mois ». [arch. privées & P.A. chap. I/6 action Pourchot].
TJ.J. semble bien avoir été l’un des premiers non allemands à avoir eu connaissance de la préparation du complot contre Hitler du 20 juillet 1944 (Stauffenberg), cela par un ou des membres allemands de l’ambassade d’Allemagne à Berne (également par mission Gabriel Jeantet). L’information avait été transmise aux Américains à l’intention de Franklin D. Roosevelt via Harry Hopkins, secrétaire général de la Maison blanche : dans l’éventualité d’une réussite, elle aurait été assortie par les conjurés d’une tentative de paix séparée avec l’ouest en vue de contenir l’avance soviétique à l’est. [Archives Jeantet et Tournoux ; P.A. chap. I/6].
TJ.J. a entretenu des relations régulières avec Allen Dulles, chef de l’OSS (future CIA) en Suisse de novembre 1943 à août 1944, d’où un transit d’informations secrètes parfois essentielles [cf action Pourchot de renseignement en vue de faciliter le Débarquement du 6 juin 1944. P.A. chap. I/6]
YJ.J. a établi dès avant sa nomination officielle en Suisse le 1er novembre 1943 (mission exploratoire de septembre 1943 à Lausanne) une relation confiante et suivie avec les représentants de la Résistance, notamment Jean-Marie Soutou, chef du bureau officieux de la Résistance à Genève, bureau connu et toléré par le Conseil fédéral (gouvernement suisse). [P.A. chap. I/6]
TCette action était le prolongement naturel des nombreuses protections et contacts de J.J. avec les mouvements résistants (Général Pierre de Bénouville, réseau Maurice Mayer, préfets en contact avec la Résistance plus nombreux qu’on ne pense, etc) pendant sa présence à Vichy, surtout dès avril 1942 (au cabinet de P. Laval).
YCette action était également le prolongement des innombrables interventions de J.J. à Vichy , notamment dès novembre 1942 (occupation de la zone libre) pour aider, protéger, cacher, faire partir pour Alger des hommes désireux de se joindre aux combattants (Maurice Couve-de-Murville, Hubert Rousselier, Pierre Ordioni, René Massigli, Robert Aron et d’autres). Egalement pour fournir de faux papiers et faire passer en Espagne ou en Suisse (Alexandre Marc-Lipianski). Et alors que tous ces hommes partent, pour la bonne cause, J.J. reste à son poste, à la demande pressante de ceux qu’il aide. [P.A. chap. I/5] .
YEn novembre 1942, J.J. a caché chez lui à Charmeil près de Vichy, pendant une douzaine de jours, Robert Aron (historien de Vichy, de la Libération, de l’épuration etc) au péril de sa propre vie et de celle de sa famille [cf récit dans divers livres de R. Aron, notamment Histoire de Vichy. Cf également rapport du chef de la Gestapo de Vichy, Geissler, à ses supérieurs à Berlin précisant que l’on « ne peut se fier à l’entourage immédiat de Laval, où agissent impunément des amis des juifs ». P.A. I/5]
YAlexandre Marc-Lipianski (qui a connu J.J. avant la guerre, ami personnel, israélite, futur pionnier du fédéralisme européen et de la réconciliation scellée dans le Traité de Rome) est aidé par J.J. à se réfugier en Suisse avec sa famille. Il a adressé à Gabriel Jardin, après une entrevue chez lui à Vence vers 1985, une lettre où il rend un hommage vibrant à l’action de J.J., à son courage exemplaire. Lors de cette entrevue, A. Marc-Lipianski a affirmé à G.J. que pour lui, son père avait été « un authentique résistant ».
Tle témoignage d’un ami de Pascal Jardin et Claudine Fayard (première épouse de  Pascal), J.J. aurait aidé et caché Roger Nathan, futur haut fonctionnaire de la IVe République à … l’Hôtel du Parc, siège du gouvernement à Vichy !
YLa biographie de l’historien Pierre Assouline, parue en 1986 (Balland puis Folio 1988) n’élude aucun élément, elle est très documentée (notamment archives privées de J.J. ouvertes sans aucune restriction à ses recherches) et cerne au plus près le personnage de J.J., en proie aux contradictions de son destin avec sa nature « exempte de toute bassesse » (citation Pierre Assouline lors de son passage à l’émission « Apostrophes » au moment de la sortie de son livre).
YAux obsèques de J.J., célébrées en novembre 1976 à Paris par le Père Fougerousse, alors aumônier des Invalides, ancien aumônier de la 2e D.B. du Général Leclerc, il y a près de trois cents personnes, issues de tous milieux, horizons politiques ou religieux : hommes d’Etat (Pinay, Couve-de-Murville, Olivier Guichard), ambassadeurs (Roland de Margerie, Pierre Francfort), anciens sympathisants communistes (W. Sokolowski, André Uhlman), Compagnons de la Libération (André Jeanney), industriels, écrivains, artistes, proches de François Mitterrand – son frère Robert Mitterrand, Jean Riboud président de Schlumberger – mais sont aussi présents des amis d’enfance et des gens modestes l’ayant accompagné dans sa vie quotidienne
YJ.J. a eu un nombre exceptionnel d’amis, au sens fort du terme. Selon son fils Gabriel, au moins vingt à trente amis intimes, amitiés nées de l’enfance, de l’adolescence, de l’âge mûr et conquises jusque peu avant sa mort en 1976 (Michel Poniatowski, Jean-Claude Aaron, Yves Gautier, Claude Imbert) avec une fidélité capable de transcender les plus dures épreuves. [Archives privées, correspondances J.J., hommages au décès]
TListe non exhaustive : on dénombre une quinzaine d’amis juifs de J.J., parmi lesquels une bonne moitié d’intimes
YDans une lettre à un ami du 20 septembre 1944, J.J. dit qu’il a brûlé avant de quitter Vichy pour la Suisse en 1943 « plus de cinquante dossiers de sauvetage qu’un homme averti aurait gardés », privilégiant ainsi des personnes que l’on pouvait encore inquiéter plutôt que de « soigner » sa réputation future  [voir également ci-après N° 22]
YAprès sa révocation le 1er septembre 1944 et sa passation officielle de ses pouvoirs à M. Vergé son successeur, représentant le gouvernement provisoire du Général de Gaulle, J.J. continue de résider à l’ambassade de France jusqu’en novembre 1944. [cf thèse de Olivier Delmas sur les ambassades de France pendant la Deuxième guerre mondiale].
YEn mars 1945, quelques semaines avant la capitulation allemande, le gouvernement provisoire de la République, présidé par le Général de Gaulle, est informé de la situation dramatique de plusieurs centaines de femmes françaises et étrangères détenues au camp de concentration de Ravensbrück. A bout de force, celles-ci doivent être libérées avant même la reddition du camp, sous peine de mort quasi certaine. Pour organiser leur transfert en Suisse via la Croix rouge internationale, Gaston Palewski, alors directeur de cabinet du Général de Gaulle, charge un émissaire, le Docteur Maurice Mayer , de se rendre en Suisse, où on lui suggère à Paris de s’adresser à … Jean Jardin. Ce dernier, qui n’a plus à ce moment aucune fonction officielle, met aussitôt sur pied avec le Colonel Masson, chef des services de renseignements de l’armée suisse, et le Conseiller fédéral Musy, le rapatriement en urgence de trois cents femmes françaises, suivies de peu par près de huit cents autres de diverses nationalités. Les convois parviennent en Suisse dès le 9 avril sains et saufs et sont pris en charge par les hôpitaux du pays. [Archives du C.I.C.R. & P.A. chap. II/8]
TOn ne peut qu’accorder crédit aux affirmations de J.J. relatives à ses « sauvetages » et protections pendant la guerre [cf ci-avant N° 19]. En effet outre le fait que ces actions concordent avec de nombreux témoignages (Alexandre Marc-Lipianski, Robert Aron, lettres de gratitude), il existe dans les archives disponibles de J.J. un nombre incalculable d’interventions en temps de paix, en faveur de toutes sortes de gens : jeunes ménages cherchant du travail ; personnes dans le besoin suite à des revers de fortune ; immigrés en mal de régularisation de leur statut ; négociations et aide pour faire aboutir une affaire ; recherche d’un logement ; réinsertion de personnes ayant purgé des peines de prison, etc. Et cette disponibilité aux cas difficiles, toujours désintéressée, est permanente jusqu’à la fin de sa vie.
TSi J.J. avait été l’acteur direct de ce dont Alexandre Jardin l’accuse, aurait-il été concevable qu’il demeure après la guerre et jusqu’à sa mort l’ami très estimé des Juifs se comptant parmi ses innombrables relations, Robert Aron, Alexandre Marc-Lipianski, Wladimir Sokolowski, Emmanuel Berl, Jacques Eisenmann, l’ambassadeur Pierre Francfort (tous ces derniers amis intimes) et bien d’autres ?
Aurions-nous, mes parents et moi, été reçus chaque été pendant des années chez Jacques Rueff (l’économiste le plus écouté du Général de Gaulle) à Berville-sur-Mer près de Honfleur ? J.J. aurait-il continué à rencontrer régulièrement des hommes aussi représentatifs de l’épopée de la Résistance que le général Pierre de Bénouville , le colonel Rémy, le docteur Maurice Mayer, André Jeanney, Pierre Lazareff ?
Gaston Palewski  recevant Gabriel Jardin dans sa propriété du Marais, près de Paris, au début des années 90, lui aurait-il fait part dans un entretien personnel du respect et de l’estime qu’il avait pour J.J. son père, qu’il avait rencontré quelques années plus tôt ?
YJacques de Bourbon Busset, écrivain et diplomate, qui a connu Jean Jardin à la Libération lorsqu’il était président de la Croix rouge française , interrogé par Pierre Assouline, ne craint pas pour sa part de qualifier J.J. de « résistant » et d’établir une analogie entre ce dernier et un patriote aussi reconnu et honoré que Henri Frenay, ministre après la guerre [témoignage de J. de B. B. à P. Assouline. P.A. chap. I/5]